- IBN HAZM
- IBN HAZMDe souche andalouse convertie à l’islam, Ibn ネazm fut autant homme d’action qu’homme d’étude.Le Collier de la colombe est l’œuvre d’un poète d’une psychologie raffinée qui n’est pas sans affinités avec l’amour courtois; cependant, ses ouvrages doctrinaux semblent l’emporter.Historien, juriste, théologien, il composa une critique des religions qui embrasse également les sectes islamiques et consacra plusieurs ouvrages au droit ワ hirite.Plutôt méfiant à l’égard de l’humaine nature, il aspirait à revivre la foi et la Loi avec la rigueur qu’elles avaient au temps du Prophète et de ses compagnons. Cette optique le rendait aussi insensible aux notions d’évolution et d’adaptation que vigoureusement rebelle au formalisme que sécrète toute sclérose.Une existence aventureuseAb Mu ムammad ‘Al 稜 b. A ムmad b. Sa‘ 稜d Ibn ネazm naquit à Cordoue en 994 (384 de l’hégire). Son père fut un haut fonctionnaire touchant de très près aux sphères du pouvoir qui était alors exercé, non par le calife umayyade, mais par un «maire du palais» (le ム face="EU Caron" ギib ). C’est à Cordoue qu’Ibn ネazm passa son enfance, jusqu’à la chute des ‘ mirides en 1009. Après le luxe, il connut les tribulations. Les troubles et les guerres civiles, les vicissitudes dues aux factions hostiles (parti andalou, Berbères et proberbères, Esclavons) mûrissent ce tout jeune homme, mais aussi exacerbent sa sensibilité innée.À l’arrivée des Berbères, il quitte Cordoue pour Almeria; suspecté, il en est chassé et finit par arriver à Valence. Le calife ‘Abd al-Ra ムm n IV venait d’y prendre le pouvoir, appuyé par les Esclavons. Ibn ネazm, légitimiste de cœur, se dévoua à sa cause jusqu’à l’assassinat de ce prince (1019). On le retrouve ensuite à Cordoue, puis à Játiva. Ministre à Cordoue de son ami le calife ‘Abd al-Ra ムm n V, Ibn ネazm est emprisonné après le renversement de ce dernier. Libéré, il se consacre dès lors à l’étude. Il n’est pas sûr qu’il ait repris, comme le prétend Y q t (géographe qui, dans Irsh d al-Arib, traite des hommes illustres), une carrière politique sous Hiš m III. La fin de sa vie, quoique retirée, ne fut pas sans souci. Ses doctrines lui suscitaient des ennemis. Il mourut près de Badajoz.Le psychologue et l’homme de lettresIbn ネazm reçut une éducation soignée, selon le système en honneur dans les sociétés musulmanes, qu’il a lui-même décrit comme un cursus studiorum dans son Mar tib al- l m (Épître sur les degrés des sciences ). Il étudia la grammaire et la poésie, et se familiarisa avec l’adab (belles-lettres). On connaît de lui un d 稜w n, recueil de poésies qui reflètent ses tristes expériences. Son ouvrage le plus célèbre, ヘawq al- ネam ma (Le Collier de la colombe ), est consacré à l’amour et aux amants. Composé à Játiva vers 1027, ce livre reprend les idées courantes de la littérature arabe sur l’amour et le comportement des amants. Il s’inscrit dans la tradition d’une idéalisation «platonique», qu’il est convenu de faire remonter aux héros de la tribu de ‘U face="EU Domacr" ヽra (relation de l’amour et de la mort). Ibn ネazm fait très vite éclater les poncifs. Non seulement il analyse finement son expérience personnelle, mais il atteint à des considérations psychologiques très profondes qui mettent en question le mystère de la sincérité: l’homme se sert-il des mots pour se masquer, pour se donner telle ou telle apparence, ou trouve-t-il dans la puissance de ces mots les miroirs vivants dans lesquels il offre sa véritable image? Ainsi est posé le problème de la nature et de la valeur du langage, qui a inspiré à Ibn ネazm les idées fondamentales de sa réflexion religieuse. On trouve dans son Kit b al-a face="EU Domacr" 更laq wa’l-siyar (Épître morale ) d’autres exemples de son acuité de psychologue.Le savant size=5ワ size=5hiriteSuivant Ibn ネazm, le langage est fait pour la communication et son but est l’intercompréhension (taf hum ). Il doit être clair, ne pas se construire sur des sous-entendus (taqd 稜r ) et ne pas être énigmatique. Cela est encore plus vrai pour la Parole de Dieu qui, d’après le Coran lui-même, a été révélée en un « arabe clair». Il faut donc comprendre les textes du Livre et ceux du ムad 稜 face="EU Domacr" 龜 (tradition du Prophète) dans leur sens apparent ( ワ hir ), c’est-à-dire le sens dont la connaissance de la langue peut déterminer l’exactitude et la cohérence. Dans le droit (fiqh ), Ibn ネazm s’est donc rattaché à l’école ワ hirite, qui n’admet comme fondement des règles que des textes (Coran et ムad 稜 face="EU Domacr" 龜 ) interprétés en vertu des lois objectives de la grammaire et des significations objectives du lexique. Il rejette et le commentaire figuré et le raisonnement analogique (qiy s ) qui sont les œuvres humaines sans valeur en soi et de plus exposées aux passions partisanes cachées sous des mises en scène prétendues rationnelles. Il rejette aussi l’isti ムs n , que les hanéfites, en particulier, avaient admis comme principe de législation. L’isti ムs n consiste à juger conforme à la volonté divine toute disposition légale qui est bonne en soi ou dont les effets sont bénéfiques. Ibn ネazm dénonçait l’arbitraire qu’introduirait l’application d’un tel principe.Le qiy s , dont l’im m al-Šh fi‘ 稜 a fait la théorie, est de deux sortes. L’une, qui manque totalement de rigueur, consiste à étendre une règle de droit énoncée textuellement à propos d’un cas donné à tous les cas semblables. La seconde consiste à chercher la motivation (ou cause: ‘illa ) d’une règle particulière énoncée dans un texte coranique ou prophétique. Cette recherche de la ‘illa s’appelle ta‘l 稜l ; elle aboutit à dégager un principe général dont on peut déduire les applications à d’autres cas particuliers qui ne font l’objet d’aucun texte. Ibn ネazm critique le premier genre de qiy s en montrant le vague de la notion de ressemblance, et le second en affirmant que Dieu commande ce qu’il veut en dehors de toute motivation. En outre, la thèse de Šh fi‘ 稜 suppose qu’il y a des textes qui n’ont qu’une signification particulière et une portée limitée. Or Ibn ネazm pense, au contraire, que tout texte a un sens général et qu’il faut le prendre, de prime abord, avec toutes les significations que la grammaire et la lexicographie permettent de lui reconnaître. «Dans le Coran, dit-il, tout est principe (a ルl ).» Un texte ne peut être particularisé que s’il existe un indice (dal 稜l ) qui y autorise. il n’y a donc pas lieu de rechercher le principe général qui commanderait le texte particulier, puisque de tels textes n’existent pas.L’objectivité du langage est fondée sur l’institution divine (tawq 稜f ): «Et Dieu enseigna à Adam tous les noms» (sourate II, 31). La logique n’est plus qu’une mise en œuvre des lois grammaticales et lexicographiques. La connaissance part forcément de données: les perceptions sensibles et les textes révélés; tout cela vient de Dieu. La raison est la faculté qui a reçu les principes du discernement (tamy 稜z ) et les règles de son usage. Ibn ネazm, dans le Kit b al-taqr 稜b (Propédeutique à la logique ) a fait une place à la nomenclature logique d’Aristote, mais il en réduit la portée au point d’en faire seulement un procédé de classification pour mettre de l’ordre et de la distinction (bay n ) dans les choses, leurs représentations et leur expression orale ou écrite. Aussi l’accusait-on de n’avoir pas compris le stagirite. Ibn ネazm a appliqué cette méthode au droit comme il l’a exposé dans son Kit b al-i ムk m f 稜 u ル l al-a ムk m (Livre sur les fondements des problèmes juridiques ) et l’a étendue jusqu’à la théologie, généralisant ainsi son ワ hirisme à tous les domaines.Dans le Fi ルal , il a critiqué toutes les idées qui ne convenaient pas à son système ワ hirite: les religions de la Perse, le judaïsme, le christianisme, et, à l’intérieur de l’islam toutes les sectes qu’il réprouvait, en particulier les mu‘tazilites, les ash‘arites et les mystiques. En théologie, en effet, il renvoie dos à dos mu‘tazilites et ash‘arites, les premiers parce qu’ils soulèvent des problèmes, inspirés par une curiosité indue de la raison humaine; les seconds, parce qu’en réagissant contre les premiers ils restent prisonniers de leur problématique. Sur la question des attributs, Ibn ネazm s’oppose aux mu‘tazilites, qui, dans leur ensemble, réduisaient ceux-ci à l’essence de Dieu: par exemple, ils disaient que Dieu est omniscient, non par une science, mais par son essence. Par suite, la science de Dieu se ramènerait à son essence, c’est-à-dire à lui-même. Mais, objecte Ibn ネazm, il en résulterait que Dieu est science, ce qu’on ne saurait soutenir. Le Coran révèle «les plus beaux Noms de Dieu (al-Asm ’ al- ムusn )», tels que vivant, voyant, oyant, etc. En vertu de ses conceptions ワ hirites, Ibn ネazm refuse de tirer, par dérivation (ishtiq q ) de ces qualificatifs, des substantifs: vie, vue, ouïe, qui seraient des attributs. Cependant, Dieu dit dans le Coran (4, 166) que ce qu’il a envoyé au Prophète vient de sa «Science». Cela veut dire: «vient de lui-même», sans qu’on puisse en conclure que Dieu est science. De même, il est dit (51, 58) que Dieu possède la puissance. Cela veut dire simplement qu’il est Dieu.Quant au problème de la liberté humaine, il reçoit aisément une solution ワ hirite. Dieu a dit (2, 286) qu’Il n’imposait à aucune âme un fardeau plus lourd que ce qu’elle peut porter. Par conséquent, quand Dieu donne un ordre, on est sûr qu’on a le pouvoir d’agir (isti レ ‘a ) qui permet d’exécuter cet ordre. On a, d’ailleurs, de ce pouvoir d’agir une intime conscience.On a pu voir en Ibn ネazm un historien des idées religieuses, et, en effet, il a réuni une très vaste et parfois très précise documentation. Son esprit historique apparaît dans sa théorie de la critique d’authenticité des ムad 稜 face="EU Domacr" 龜. Enfin, dans son ouvrage en onze tomes consacré aux principes du droit, le Mu ムall , il déploya ses attaques contre les écoles juridiques, surtout le malékisme qui opprimait l’Espagne, le hanéfisme et le š fi‘isme.Ibn ネazm est un des auteurs les plus vivants et les plus personnels de toute la littérature arabe. Pessimiste et misanthrope, il a pourchassé, dans la religion et dans la connaissance en général, tout ce qui venait de l’homme comme erreur, vaine prétention, révolte. Son idéal était de retrouver, en toute leur pureté, la foi et la Loi. Le problème de l’adaptation de la Loi aux cas nouveaux, donc de son évolution, ne se pose pas pour lui. Par exemple, les produits soumis à la zak t (aumône légale) sont énumérés dans des textes où le riz ne figure pas; en conséquence, le cultivateur qui ne produit que du riz n’aura pas à payer la zak t. En dehors des textes (nu ル ル ) compris à la lettre, il n’y a pas de loi et tout est licite (mub ム ). Contre toute attente, le ワ hirisme libère le croyant de tout le réseau de contraintes que des écoles comme le malékisme avaient tissé par-dessus les textes.Son idée essentielle est que Dieu seul peut commander aux hommes. Aussi toute élaboration humaine de la Loi qui tendrait à l’étendre est proscrite. Les règles de droit tombent sous cinq statuts (a ムk m ): le prescrit, l’interdit, le recommandé, le déconseillé, enfin le licite. Si un docteur prétend qu’une action tombe sous l’un des quatres premiers a ムk m , qu’il apporte un texte pris dans son sens manifeste (dans son ワ hir ). S’il n’y a pas de texte, c’est que cette action est licite.Voici un exemple intéressant concernant les contrats religieux (‘uq d ), c’est-à-dire ceux dont la violation est punie par le q ボ 稜 . Les conditions en sont réglées par les textes du Coran et du ムadi face="EU Domacr" 龜 . Aucun homme n’a le droit d’introduire une clause qui n’est pas dans le livre de Dieu (shar レ laysa f 稜 Kit b All h ). Mais il est licite que des hommes passent entre eux des accords (tar ボ 稜 ou ittif q ) à condition que ceux-ci n’aillent pas à l’encontre d’une loi textuelle. Dans ce cas, il est recommandé aux parties de les observer scrupuleusement. Un droit consensuel, réglé par les a ムk m du licite et du recommandé, peut donc se développer en dehors de la Loi coranique fixée textuellement. C’est une porte ouverte à la création d’un droit qui règle des cas sur lesquels le Coran et le ムadi face="EU Domacr" 龜 n’apportent textuellement aucune législation.De ce fait, Ibn ネazm reste étudié dans les pays d’Islam et il inspire des juristes musulmans contemporains.
Encyclopédie Universelle. 2012.